Basé sur des entretiens avec Margaretha Haughwout.
Dans la baie de San Francisco, et dans le contexte nord américain qui souffre d’une aliénation totale à ce qui nous nourrit, un certain nombre d’artistes se sont engagés dans des pratiques artistiques sociales impliquant le monde végétal. Ce nouvel article se consacre au travail d’une de ces artistes activistes, Margaretha Haughwout, et du groupe Guerilla grafters.
Les Guerilla grafters greffent des scions d’arbres fruitiers fertiles sur des arbres stériles de San Francisco. Équipés de petits scions, de couteaux, de ruban de greffage, de sacs en plastique, mais aussi d’échelles, de seaux, des sécateurs, parfois accompagnés par la Presse, des amis et des chiens, ils agissent en plein jour au début du printemps. Ils travaillent sur plusieurs branches simultanément. L’un(e) d’en eux (elles) fait le guet. Ils profitent d’être dans l’arbre pour tailler des branches mortes, brisées, croisées ou déformées ; les arbres urbains sont souvent livrés à la survie une fois plantés et ont une moyenne de vie de 15 ans. Ces gestes demandent une attention méticuleuse, de l’organisation, de la vitesse d’exécution et du courage. Les arbres privilégiés sont des poiriers, cerisiers, et pruniers ornementaux, et les rues commerçantes sont ainsi rendues comestibles au même titre que les quartiers populaires.
Les semaines qui suivent, les Guerilla grafters reviennent voir les greffons et portes greffe, les arrosent pour les aider à produire du cambium ( la Californie est toujours menacée de sécheresse). Les poiriers asiatiques prennent généralement bien et produisent des fruits six mois plus tard.
Chaque année de nouvelles greffes commencent à porter leurs fruits.
Les fruitiers sont interdits dans l’espace public dans la plupart des villes. Les ginkos femelles échappent à ces restrictions, parce que la différenciation sexuelle n’est visible qu’à 15 ans, elles sont parfois coupées, les fruits sont parfois ramassés par des grands-mères chinoises pour leurs graines, une preuve que les fruitiers seraient bienvenus chez les citadins.
“Des bureaucrates décharnés imaginent un membre de la société civilisée glissant sur une cerise, des infestations de rats et le retour de la peste” dit Margaretha Haughwout, une des GG.
À la venue des rats, les Guerilla grafters répondent : “érigeons un mat pour la chouette et le faucon!”. Dans le pays où les procès ont remplacé la communication, bien moins lucrative, la ville se protège (d’une chute de citoyens) en stérilisant le paysage. La greffe des arbres est interdite et considérée comme du vandalisme. Lorsque la ville a pris connaissance de leurs travaux, les élagueurs ont violemment taillé de nombreux arbres fruitiers.
Ainsi, le simple geste de la greffe est révélateur de la machine folle qui nous tient aliénés à ce qui nous nourrit.
“Nous comprenons la ville comme une dévoreuse continuelle de tout ce qui l’entoure, tous les jours des tonnes de vivres et des milliers de camions s’engouffrent dans la ville, drainant ses alentours”.
En Californie, ce sont des ingénieurs et des mexicains aux conditions de vie précaires qui travaillent les paysages toxiques de monocultures, constitués d’annuelles, de céréales et de légumes.